La loi dite "Climat et Résilience" du 22 juillet 2021 est venue porter un un coup de massue sur les propriétaires bailleurs français, prévoyant notamment un calendrier contraignant et particulièrement pénalisant en matière de mise en location de biens considérés comme "passoires énergétiques". Et ce, dès 2025, autrement dit demain (ou presque).
Ce texte prévoit ainsi en son article 160 l'interdiction des locations de logements classés en étiquette énergétique (suite à un DPE - Diagnostic de performance énergétique) E à G comme suit:
Au 1er janvier 2025 pour les logements classés « G »
Au 1er janvier 2028 pour les logements classés « F »
Au 1er janvier 2034 pour les logements classés « E ».
Mais les dispositions de ce texte vont également plus loin, prévoyant la possibilité pour les locataires d'un bail en cours de validité et concerné par l'une de ces échéances précités de saisir le juge afin d'obtenir la réalisation éventuellement assortie d'une astreinte de travaux de rénovation, avec une potentielle suspension ou diminution du loyer. Une mesure particulièrement forte et douloureuse pour les copropriétaires bailleurs concernés.
Un décret du 18 août 2023 (n°2023-796) est venu apporter au cours de l'été un certain nombre d'exceptions, permettant ainsi à de nombreux copropriétaires de pousser un (petit) soupir de soulagement.
Un premier allégement bienvenu pour ces copropriétaires bailleurs, mais également une atteinte indéniable à l'efficacité initiale d'une telle mesure contraignante et qui se voulait avant tout dissuasive, ou plutôt incitative afin de pousser les propriétaires à réaliser des travaux de rénovation énergétique.
Les dérogations prévues au titre de l'article 160
L'article 160 de la loi "Climat & Résilience" prévoit une dérogation au principe légal déjà en vigueur à l'instant où sont écrites ces lignes. Il s'agit de la faculté offerte au juge de ne pas utiliser le mécanisme des travaux imposés au propriétaire dans le cadre d'un bien soumis au régime de la copropriété, à condition :
soit que le copropriétaire démontre que "malgré ses diligences en vue de l'examen de résolutions tendant à la réalisation de travaux relevant des parties communes ou d'équipements communs et la réalisation de travaux dans les parties privatives de son lot adaptés aux caractéristiques du bâtiment, il n'a pu parvenir à un niveau de consommation énergétique inférieur au seuil maximal"
Soit que le logement soit "soumis à des contraintes architecturales ou patrimoniales qui font obstacle à l'atteinte de ce niveau de performance minimal malgré la réalisation de travaux compatibles avec ces contraintes"
Des précisions bienvenues apportées par le décret du 18 août 2023
Le décret d'application paru cet été est venu clarifier les exceptions prévues légalement.
Ainsi, dans le cas où les travaux rendus nécessaires dans le cadre de la rénovation énergétique du bien classifié en passoire énergétique font courir un "risque de pathologie du bâti, affectant notamment les structures ou le clos et couvert des bâtiments, attesté par une note argumentée rédigée, sous sa responsabilité, par un homme de l'art", le propriétaire bénéficie d'une dispense aux dispositions contraignantes en matière de location prévues par la loi Climat & résilience. Il peut notamment s'agir d'une fragilisation structurelle de l'immeuble ou de l'apparition de ponts thermiques dans le cadre d'une isolation partielle de façade. On peut néanmoins s'étonner de l'imprécision du terme "d'homme de l'art": s'agit-il d'un ingénieur thermicien, d'un architecte DPLG, d'un architecte d'intérieur, d'un bureau d'étude structure... ?
En outre, et fort logiquement, en l'absence d'obtention des autorisations d'urbanisme et/ou des permis de construire nécessaires, le propriétaire bénéficie également d'une exonération. Mais uniquement dans le cas où les travaux nécessaires "entraînent des modifications de l'état des parties extérieures, y compris du second œuvre, ou de l'état des éléments d'architecture et de décoration de la construction". Cette précision exclue donc clairement, comme pressenti, de très nombreux immeubles anciens situées en périmètres de sauvegarde, ou en zone situé à proximité de monuments classés. Il est à ce titre précisé en dernier alinéa de l'article 3 du décret que "Le juge peut, notamment, surseoir à statuer dans l'attente de l'intervention de la décision de l'autorité administrative compétente pour autoriser la réalisation de ces travaux.". Une fois de plus (rappelons que l'autorité administrative peut déjà imposer la réalisation d'un plan pluriannuel de travaux ou d'un DPE collectif, mais également de travaux de ravalement sur injonction restée infructueuse), l'autorité publique bénéficie ainsi d'un pouvoir d'immixtion important en matière de propriété privée immobilière, en disposant d'une capacité d'autoriser ou d'interdire des travaux de rénovation énergétique, laissant dès lors planer une incertitude aux propriétaires bailleurs concernant le bénéfice éventuel des exceptions au calendrier de contraintes prévu par la loi "Climat et résilience".
Des exceptions qui ne dispensent pas le bailleur de proposer un logement décent
Précisons ici que ces dispositions allégeant les contraintes pesant sur les copropriétaires bailleurs d'une passoire énergétique en copropriété, dans certains cas, ne dispensent aucunement ceux-ci de respecter la réglementation en matière de logement décent. Comme répété régulièrement par la jurisprudence, le propriétaire bailleur proposant à la location un logement insalubre n'en demeure pas moins pleinement responsable (par exemple: Cass. 3e Civ., 22 juin 2022, n° 21-12.022). Une responsabilité qui peut être civile (diminution, réduction ou consignation de loyer, perte des bénéfices du délai de préavis, indemnisation au titre du préjudice etc) mais également pénale en cas de non respect des dispositions de l'article 225-14 du Code pénal (mise en danger de la vie d'autrui, soumission d'une personne vulnérable à des conditions d'hébergement incompatibles avec la dignité humaine: cas typique de ce que l'on appelle couramment un "marchand de sommeil").
Par ailleurs, notons que le syndicat des copropriétaires peut également être tenu pour responsable de la survenance d'un dommage causé à un copropriétaire ou à un tiers, lorsque celui-ci est causé par un manquement de travaux de rénovation ou d'un défaut d'entretien des parties communes. Un contentieux considérable à venir devant nos juridictions ?
Il est à craindre une arrivée massive de dossiers contentieux devant les juridictions civiles face aux contraintes très lourdes pesant sur les copropriétaires souhaitant pouvoir continuer à louer leur bien considéré comme passoire énergétique, et ainsi réaliser des travaux de rénovation pour ce faire.
En effet, coincé entre des contraintes d'un côté en matière de performance énergétique du logement, et de l'autre en matière d'autorisations d'urbanisme ou d'autorisation à recevoir de la copropriété dès que les travaux affectent l'apparence esthétique ou les parties communes (modification des ouvrants, isolation thermique extérieure etc).
Nous ne pouvons dès lors que vous recommander non seulement de faire réaliser au plus vite un DPE individuel pour votre bien afin de savoir précisément où vous en êtes en tant que propriétaire d'un bien loué en copropriété. Mais également de proposer et encourager le vote en Assemblée générale de la réalisation d'un DPE collectif sur l'ensemble de la copropriété et/ou d'un DTG (diagnostic technique global) complété le cas échéant d'un plan pluriannuel de travaux.
